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Du féminisme néocolonial et paternaliste : pourquoi les FEMEN ont définitivement perdu toute ma sympathie

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En septembre 2012, j’avais consacré un reportage publié sur madmoiZelle aux FEMEN, qui ouvraient le même mois leur camp d’entraînement dans le quartier populaire de la Goutte d’Or, à Paris. À l’époque, il était encore tôt pour me faire un avis sur le modus operandi revendiqué par ces militantes féministes : je me souviens avoir d’abord jugé intéressante leur posture d’impertinentes souhaitant courir et hurler là où certaines commentent et dissertent, plus tard j’ai aussi trouvé préjudiciable que ces filles (dont je partageais au moins la lutte contre le patriarcat) se construisent autant dans l’opposition aux féministes universitaires, un peu comme s’il y avait un féminisme à deux vitesses : celles qui se regardent le nombril et celles qui agissent dans la rue.

Cette dissociation m’avait à l’époque quelque peu gênée : à toute lutte il faut un brin de vindicative confiance en soi, et il m’a toujours semblé que les femmes de lettres féministes, théoriciennes, n’étaient pas moins irrévérencieuses que leurs consœurs activistes qui battent le pavé à l’instar de nos ukrainiennes aux seins nus qui trouvent leur raison d’être dans une capacité très moderne, quoique discutée, à flatter l’œil médiatique.

Puis, les choses se sont corsées. Pour s’imposer dans le décor médiatique, les FEMEN (pour qui j’avais pourtant eu un début de sympathie, ou plus exactement, à qui j’ai longtemps laissé le bénéfice du doute — mon goût pour les provocantes actions de terrain aidant très certainement) ont fini par faire ce que tout groupuscule ou groupe de pensée finit par faire pour élaguer ses rangs et affiner sa dialectique militante : adopter un lexique guerrier.

C’est en général à cet instant précis que tout se joue : soit le lexique guerrier est fort et puissant, et il offre une critique de l’ennemi (ici, le patriarcat) adroite et pertinente; soit il se contente de bêtement servir les luttes fratricides et se perd à donner des leçons à droite à gauche pour se trouver une identité dans le creux et la superficialité dont le mouvement souffre. C’est malheureusement dans cet écueil que les FEMEN sont tombées en cours de route, vraisemblablement faute d’avoir pris le temps d’asseoir leurs actions sur un corpus de revendications lisibles et intelligibles.

Une tentation d’universaliser l’émancipation de la femme qui confine au néocolonialisme

Au même titre que le collectif Ni Putes Ni Soumises s’était vautré dans le féminisme néocolonial lorsque, d’association féministe ses militantes appâtées par une médiatisation à grande échelle sont passées à appareil idéologique d’État (ne servant que trop bien la figure de l’arabe voleur-voileur chère aux prétendues forces progressistes incarnées par la gauche d’époque), les FEMEN se sont pris les pieds dans un paternalisme vindicatif consistant à juger les femmes voilées d’un point de vue non seulement ethnocentré, mais aussi complètement ignorant de l’impérialisme que cette posture d’ingérence suppose.

FEMEN et Ramadan

La dernière « provocation » des FEMEN

Ainsi, la dangereuse limite du militantisme à la sauce FEMEN réside dans cette volonté prétendument humaniste d’universaliser à tout prix le discours d’émancipation de la femme.

Ce problème n’est pas né avec la troupe d’Inna Schevchenko : historiquement, les premières femmes coloniales s’étaient déjà drapées dans un féminisme bienfaisant pour justifier leur tentative de « civiliser » les femmes des pays occupés en leur inculquant leur mode de vie du Nord. Déjà à l’époque, sans le savoir ces épouses de colons servaient moins la cause de la femme que celle… de l’impérialisme.

Quand l’antisexisme devient un outil politique servant les discours racistes

Dans un élan post-punk fièrement porté en bandoulière, les FEMEN revendiquent la nudité comme moyen ultime de nous absoudre de nos oppressions (classe, genre, religion). Certaines féministes trouvent la logique incohérente et contradictoire (« comment lutter honnêtement contre le patriarcat quand on choisit un médium – les seins nus – précisément soumis au concept de femme-objet ? »), d’autres reconnaissent une prétention hautement symbolique et sémantiquement puissante (« les FEMEN essayent de récupérer la connotation de la nudité à leur compte, c’est une réappropriation salutaire »).

Mais ce débat sur la légitimité du recours aux seins nus ne m’intéresse plus. Plus depuis que les FEMEN œuvrent délibérément en faveur d’un féminisme occidentalo-centré et bourgeois, en témoignent leurs happenings anti-religieux malheureusement pas plus intellectuellement étayés qu’un auto-collant à l’effigie du Che apposé sur l’agenda d’un collégien en 4ème. En s’en prenant systématiquement aux femmes voilées, qu’elles infantilisent à l’envi dans un discours toujours plus culpabilisant, les FEMEN se subordonnent sans détour à un néo-colonialisme ordinaire, qui n’est pas sans rappeler l’instrumentalisation politique de la question du voile, ce bout de tissu devenu vitrine officielle du seul sexisme à combattre en France ces dernières années.

Or, comme l’expriment très bien Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem dans « Les féministes blanches et l’empire » (un ouvrage clair et limpide, sorti aux excellentes éditions La Fabrique, dont je ne peux que vous recommander la lecture) :

Dans la foulée des guerres du Golfe, du 11 septembre et de l’intervention occidentale en Afghanistan, les dix à vingt dernières années ont été le théâtre d’une incorporation de thèmes antisexistes à la rhétorique réactionnaire. Le « sale Arabe » des années 1970 a cédé la place aux « grands frères » voileurs, « intégristes », « barbus » et autres « obscurantistes ». Cette nouvelle vitalité du racisme, qui prend les allures respectables d’une lutte pour l’égalité hommes-femmes mais aussi d’un combat pour la laïcité, donne aujourd’hui lieu à une floraison de discours, de pratiques, de lois et de décrets visant spécifiquement l’exclusion des non-Blanc•he•s.

Les discours féministes et anticléricaux qui font l’économie de l’antiracisme servent l’impérialisme

Athée que je suis (là n’est même pas la question), je trouve inacceptable la violence symbolique avec laquelle les FEMEN s’emploient à infantiliser les femmes musulmanes, comme si l’on pouvait s’en prendre à l’Islam tout en niant le cadre de pensée néocolonial actuel dans lequel toute critique féministe occidentale s’inscrit de fait. FEMEN, vous pouvez être antireligieuses, mais sachez que cette posture n’est tenable que si elle est accompagnée d’un antiracisme actif, faute de quoi elle sert forcément le discours impérialiste référent. C’est donc là (on y vient) que le bât blesse : mon anticléricalisme, même le plus jusqu’au-boutiste, ne saurait tolérer ces accès de nihilisme bourgeois (plus bourgeois que nihilistes), qui ont peut-être tout compris à la société du spectacle… mais rien au concept de servir la soupe au paternalisme sans vergogne.

La sociologue Zahra Ali, que j’avais eu la chance d’interviewer il y a quelques mois pour VICE, confiait à ce propos :

Il y a différentes façons d’être féministe. Moi, en tant que femme musulmane issue de l’immigration, je ne vais pas avoir les mêmes priorités d’engagement qu’une féministe blanche des beaux quartiers. C’est aussi ça, le féminisme musulman : c’est dire « arrêtons d’être essentialiste et de prôner un seul type de militantisme ». On ne peut pas confisquer la parole à des femmes sous prétexte qu’elles utilisent des termes religieux alors qu’elles luttent pour la même finalité : la justice sociale.

En extrapolant, certains clament que les FEMEN « ne font que » se mobiliser pour Amina, la FEMEN tunisienne actuellement en proie avec la justice. Si le combat d’Amina me semble légitime (c’est en tant que femme tunisienne qu’elle se saisit de la cause des femmes tunisiennes – je ne me permettrais donc pas de juger son parcours et ses choix, qui appartiennent à un contexte politique, social et religieux donné), le tapage médiatique des FEMEN en France, lui, confine nocivement à l’insulte envers une communauté. Car que veut dire exactement le fait de réduire l’Islam à son extrémisme, dans un contexte post-11 Septembre où les musulmans souffrent déjà massivement de stigmatisation ?

Ma conviction est donc la suivante : l’antisexisme ne doit en aucun cas servir la diabolisation des femmes des pays du Sud. La lutte contre le patriarcat doit aller de pair avec celle contre le racisme. Il n’y a pas de priorité entre ces deux causes : elles vont ensemble, main dans la main – allons plus loin encore : elles n’ont de véritable sens égalitaire que juxtaposées l’une à l’autre.

FEMEN, c’est donc aujourd’hui en tant que femme, fille d’immigrés, et jeune adulte sensible à la critique de toute domination, que je refuse d’être représentée par vous. J’ai pris mon temps pour observer vos actions, il m’est déjà arrivé de prendre votre défense à l’heure de l’apéro, d’autres fois vous m’avez aussi allègrement déçue… mais j’en suis aujourd’hui sûre et certaine (et croyez-moi, très attristée) : votre combat, élitiste, blanc, donneur de leçon, bourgeois, ne saurait porter la voix de toutes les femmes du monde. En tout cas, plus la mienne.

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