Ce vendredi 29 novembre, la dernière page de Libération, habituellement dédiée au portrait d’un personnage, connu ou inconnu, dont la rencontre est présentée comme « en disant long sur notre époque », a cédé ses colonnes à l’entreprise de télécommunications Orange.
Là où en 2012, « La Vache Qui Rit » avait eu le droit d’étaler sa publicité sous la forme d’un portrait de l’icône de la marque, c’est cette fois « M4GIC », le personnage de la campagne de l’opérateur (visible ci-dessus), qui s’est invité dans la rubrique phare du quotidien, une mention « Publicité » précisée au dessus d’une mise en page singeant plus ou moins heureusement la grille originale :
Native advertising et storytelling marchand
Dans le cadre de sa tentaculaire promotion pour la 4G intitulée « M4GIC Noël », Orange, conseillé par l’agence de communication Havas, a sorti l’artillerie lourde en se payant une présence dans de nombreux gros médias, parmi lesquels on compte également la chaîne TF1, qui accueille la campagne de l’opérateur en glissant sa mascotte entre plusieurs spots télé, ou encore en le faisant croiser l’animatrice Estelle Denis dans les couleurs de la chaîne.
La capacité de la publicité à envahir chaque millimètre vacant de notre espace public est une donnée tangible de laquelle on nous apprend à ne plus être étonné. Mais le fait que cette même publicité s’invite, entendons-nous bien : parce qu’on lui ouvre grand les portes, dans le contenu éditorial de la presse, est un dernier soubresaut de l’intelligence marketing en œuvre, celle qui consiste à être toujours plus intrusive dans le quotidien des gens.
L’injonction à consommer avait déjà son espace balisé : ses encarts publicitaires sur papier glacé et ses panneaux physiques dans la rue. Par son pouvoir de tout monnayer, et parce que les annonceurs sont à n’en point douter une source de revenus à laquelle la presse écrite s’adosse aujourd’hui comme une vieille dame refusant de tomber dans le caniveau, la publicité s’immisce désormais régulièrement dans la presse, via des publi-rédactionnels toujours mieux intégrés. Ce mode opératoire est appelé « native advertising » et consiste à laisser la publicité faire subrepticement irruption dans l’expérience utilisateur. Comprendre : décloisonner le marchand et l’imposer au regard du lecteur qui ne s’y attend pas.
L’exemple de Libération, qui capitalise sa der (autrement dit sa rubrique la plus mythique, celle par laquelle se joue sa distinction avec les autres quotidiens) est sûrement un joli cas d’école pour la pensée marketing : réussir à trouver de « nouveaux formats de narration d’un produit à vendre » est un succès que l’on imagine bien fièrement présenté en PowerPoint dans une salle de réunion d’agence de com’ aux tables en plexiglas. Mais pour le droit de tout un chacun à avoir accès à un contenu journalistique non-bradé plutôt qu’à un énième appel à la consommation, c’est bel et bien un échec.
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