Tête de liste du Front de Gauche à Sevran, Clémentine Autain distribue en ce moment sur le marché de la commune de Seine-Saint-Denis un tract pour le moins « haut en couleur ».
Tandis que la course aux municipales bat son plein partout en France, celle qui fut conseillère PCF chargée de la jeunesse à Paris (de 2001 à 2008) a choisi de se démarquer de la grisaille ambiante, en jouant la carte de la sympathie à travers une campagne bon enfant. « Une Clémentine pour Sevran » ! En un sens, le jeu de mots fait son effet (autrement dit – sourire) : Clémentine Autain « les épaules engoncées dans un blazer mandarine, le regard sincère et le sourire aimable, accolée à cette histoire de vitamines brandie sur fond de photo de clémentines très Flickr » a un côté attachant que ses concurrents à la chevelure poivre et sel n’ont pas.
Mais au delà de son ton joyeusement ringard et charmant, quelles sont les limites d’un tel positionnement ? C’est pour le dire autrement la question de savoir ce qu’un message peut dire malgré lui.
« Ce qu’on appelle « connotation » est constitué par les valeurs additionnelles d’un message quelconque, valeurs étrangères a) à la signification proprement dite, véhiculée par les signes lexicaux et les constituants grammaticaux (dénotation), et b) au référent du discours (la réalité non encore référée au langage). »
— Catherine Kerbrat-Orecchioni, La connotation (Presses universitaires de Lyon)
Les femmes politiques que l’on appelle par leurs « p’tits prénoms »
Ce tract a malheureusement tout de la candidature d’un « p’tit brin de femme qui a des choses à dire », figure archétypale d’un monde politique condescendant dans lequel les femmes sont traitées avec bienveillance. On se souvient par exemple du traitement médiatique de la présidentielle 2007, où « Sarko » était opposé à « Ségo » – une manière d’induire dans le discours public l’idée que la force de l’un (rationnel, convaincu, inébranlable) affrontait la sensibilité de l’autre (douce, humaine, sincère).
On ne peut dissocier les actes de stratégies de communication des contextes socio-politiques dans lesquels ceux-ci s’inscrivent. En se laissant appeler par son prénom, qui plus est à consonance très « jeunette », Clémentine Autain, pourtant connue pour son engagement féministe, joue malgré elle le jeu de l’infantilisation des femmes, ces êtres vulnérables envers qui il faudrait avoir soit de la tendresse, soit de l’affection.
Aussi agréable et proche des électeurs peut-elle paraître, cette méthode sémantique soustrait donc à Clémentine Autain ses compétences politiques et son expertise. Ne reste que la bonhommie rafraîchissante de son minois vitaminé.
La politique, une marchandise comme les autres
Du pep’s et des vitamines : la politique est-elle aujourd’hui si austère et désenchantée qu’il faut en passer par de l’humour gentillet pour mieux se vendre ? La défiance des citoyens envers leurs élus ne va pas se régler en 3 blagues potaches. Pire : c’est précisément ce recours à un trait d’humour futile qui risque de lui confisquer toute vaillance.
Si l’engagement de Clémentine Autain peut se résumer à 1 kilo d’agrumes, alors la radicalité de gauche n’est pas plus haute que 3 pommes. « Des vitamines », est-ce vraiment tout ce que la candidate a à proposer aux travailleurs étourdis par la grisante crise ? Bien sûr, un tract est un appel du pied et jamais ne résume un programme entier. Reste qu’exposer une telle accroche joviale risque bien de décrédibiliser la « femme politique » (respectable) au profit de la « femme sympathique » (mignonne).
Le slogan politique, maîtresse saillance du programme politique des candidats, empreinte d’ailleurs ici tellement à la rhétorique publicitaire (le jeu de mots gratuit, la réclame pour la réclame) que la candidate, d’un coup, n’a pas l’air de valoir beaucoup plus qu’une petite marque de lessive en poudre. Ainsi, en se livrant dans un tract au premier abord drolatique et léger, Clémentine Autain se fait l’illustration de la perte de sens de l’action politique tout en accréditant tristement le rôle rustique des femmes en politique, minorité visible désaltérante mais peu sérieuse.
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