Et c’est reparti pour un tour. Alors que l’on apprend aujourd’hui la dégradation de l’œuvre phare du Louvre-Lens, La liberté guidant le peuple de Delacroix, les commentaires sur « la bêtise des gens du Nord » vont de nouveau bon train.
Une jeune femme de 28 ans aurait détérioré le tableau en y taguant « des inscriptions ayant trait à des revendications dont on ignore pour l’instant l’objet », et depuis ça se bouscule au portillon des petites sorties sur les réseaux sociaux.
« Bienvenue chez les Ch’tis », « les Lensois sont des arriérés » et autres « Vive les bouseux » fleurissent ci et là, comme autant d’affirmations que le Nord serait un bastion de citoyens simplets. L’idée de fracture sociale apparaît alors comme source de divertissement.
Faut-il pourtant rappeler que les dégradations d’œuvres sont légion dans le monde entier (le « Penseur » de Rodin vandalisé en Argentine, la toile des « Deux Tahitiennes » de Gauguin roué de coups, un Rothko attaqué par un artiste russe, l’Urinoir de Duchamp victime d’un happening, etc.) ? S’accaparer l’incident du Louvre-Lens et y aller de sa petite pique « Nord = beaufs » (surtout sur un réseau social comme Facebook, réservoir à punchlines pensées pour fédérer un maximum de personnes, la plupart du temps sans aspérités politiques et avec le plus clair des consensus de l’imaginaire collectif) ne renforce pas seulement les clichés, mais confine tristement aussi au storytelling de la misère sociale.
Le parisien-bio-secteur-tertiaire(*) ressent-il tant le besoin d’être rassuré du haut de son donjon « surplombant la médiocrité provinciale » ? Encore un peu et on verra peut-être le discours « les gueux ont vandalisé le tableau qui était pourtant la métaphore de la culture guidant les terrils… Ces paysans ! » s’assumer pour de bon. En attendant, le jacobinisme prétentieux et la lecture « médiocrité sociale » ont encore de beaux jours devant eux.
(*)Edit nécessaire au vu des réactions : Ceci est à prendre comme une métaphore. L’expression ne renvoie pas à tous les habitants de Paris de façon incluante, mais est une image du parisianiste ou tout autre habitant fier de sa métropole. Évidemment, tous les Parisiens ne se moquent pas des Lensois de même qu’il y a sans doute des Auvergnats qui eux le font. Mon propos était essentiellement d’illustrer l’idée que les classes moyennes et supérieures de la société tirent souvent un certain plaisir à rire de la fracture sociale, rassurante et flatteuse pour leurs propres conditions. Autre prolongement de ce rire : l’émission Bienvenue chez les Ch’tis, qui semble aujourd’hui distraire les spectateurs de façon aussi cathartique que, par le passé, les vaudevilles avec la noblesse. « Offrez moi une image drôle et peu reluisante de ce que les autres sont, que je me rassure d’être moi-même ! »
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